Editorial Le carrefour congolais Vol 10 no 2

par Julie Ndaya Tshiteku

Le but des recherches scientifiques est de produire des connaissances nouvelles et fiables. Ces connaissances élargissent les frontières du savoir, permettent une meilleure compréhension du monde, expliquent les phénomènes, facilitent les prédictions et permettent d’agir sur le contexte dans lequel elles sont produites. Le terminus ad quem est d’informer et de soutenir les politiques publiques afin qu’elles puissent prendre des décisions éclairées pour résoudre des problèmes concrets et améliorer la vie humaine. Le chercheur est alors un témoin du présent. Il rapporte les faits et les données, à la manière d’un photographe qui capture une image pour montrer ce qu’il a vu — et parfois entendu. Depuis sa création, la revue Carrefour congolais publie des travaux qui peuvent être considérés comme autant de témoignages sur les problématiques émergentes qui préoccupent la République du Congo et ses habitants. Ce numéro regroupe aussi des contributions portant sur les dimensions religieuse, politique, sociale, économique et culturelle de la société congolaise. Dans « Le pouvoir religieux et la pratique de la fraude à l’examen d’Etat », Jacques Fatu Muzesa met en lumière la double morale présente dans le fonctionnement de certains mouvements religieux. Il montre que, d’une part, la prière est fétichisée – « Nzambe mopesi na nyonso » –, au point que les élèves finalistes sont encouragés à y recourir comme garantie de réussite aux examens d’Etat. Mais, d’autre part, les chefs d’établissements scolaires n’hésitent pas à recourir à la corruption pour assurer cette même réussite. Rigobert Mbima Kutwela et Achille Mukelenge Kibangi, quant à eux, examinent le rôle des femmes dans les groupes de prière à l’Université de Kinshasa. Les femmes s’y engagent pour diverses raisons, devenant souvent des vecteurs de prosélytisme. En partageant publiquement leurs témoignages de guérison, elles prouvent l’efficacité supposée de la prière et attirent d’autres fidèles. Dans son essai, Kongo Masheki Bimuenyi observe les prédications dans les transports en commun à Kinshasa, phénomène qu’il situe dans le contexte d’une prolifération sans précédent de mouvements religieux. Il montre comment les espaces publics comme les transports en commun deviennent des lieux privilégiés pour les prêches, portés par des prédicateurs souvent improvisés. L’auteur interroge ainsi les motivations de ces acteurs religieux et l’effervescence de leurs discours.

Khenda Ginyongo et Mawa Pungu, dans leur article « L’Eglise catholique face aux dérives des acteurs politiques en RD Congo: Une analyse au prisme de la théorie de la séparation des pouvoirs de Montesquieu », examinent l’imbrication de l’Eglise catholique dans le paysage politique congolais, marqué par une concentration du pouvoir. En s’inspirant de Montesquieu, ils montrent que l’Eglise peut jouer un rôle de contre-pouvoir et contribuer à la consolidation de l’Etat de droit. Dans un autre registre, Camille Kamba s’interroge sur le rôle des Lettres et Sciences humaines dans le développement socio-économique de la RD Congo. Son article, intitulé « Les Lettres et Sciences humaines en RD Congo : quel statut et quelle finalité pour le développement ? », retrace la genèse de ces disciplines dans l’enseignement supérieur congolais et interroge leur capacité à répondre aux défis de la société.

Sur le plan politique, Luabeya Mbala Martin, Muchiga Zihindula Norbert et Mbombo Kakanda se penchent sur la responsabilité des acteurs dans les conflits armés, dans la lumière du Droit International Humanitaire (DIH). Prenant pour cas d’étude le conflit Kamuina Nsapu au Kasaï Central, ils constatent que, malgré la ratification des instruments internationaux, des violations graves ont été commises tant par les forces gouvernementales que par les milices. Kadima Mulamba, Milunda Kadikadi et Kalonga Mulemba analysent les dynamiques des négociations politiques à travers les Concertations nationales de 2011 à 2013. Ils révèlent que ces processus peuvent parfois masquer d’autres enjeux stratégiques. De leur côté, Malonga Kakose, Malonga Gures et Dzadza Platini se penchent sur les conflits coutumiers et fonciers dans le secteur de Sedzo, dans la province du Kwilu. Ils identifient plusieurs facteurs à l’origine de ces conflits, dans un contexte national où la gestion des terres reste un problème majeur.

Enfin, Mbelu Biosha, dans un article engagé, plaide pour la consolidation de la culture de paix comme fondement de la gouvernance démocratique. Il interroge la mise en œuvre réelle des principes démocratiques et propose des stratégies pour une paix durable.

D’autre part, Lunduku Kasanda, Ngilima et Lomena Katshunga, dans « La masculinité juvénile négative comme maladie de notre culture », s’intéressent à la montée de la violence chez les jeunes en milieu urbain, notamment à Kinshasa. Ils l’expliquent par l’échec des mécanismes de socialisation et la perte de repères.

Et pour clôturer ce numéro, la rubrique Jeune talent met en lumière le travail de Inswan Mwaba, jeune chercheur, qui s’appuie sur ses recherches dans les archives de l’Institut des Musées Nationaux du Congo (IMNC). Il y dénonce le fait que certaines œuvres d’art, notamment celles du peuple Ding, bien que répertoriées, ne sont pas exposées. Il plaide pour une plus grande visibilité de ce patrimoine culturel.